Pages de journal
Édith THOMAS
4 octobre [1940]
Les premières mesures contre les Juifs : le recensement. J’en pleurerais. J’en pleurais presque cet après-midi chez le dentiste qui m’en parlait – avec indignation : « Comment est-ce possible, chez nous, en France ? » J’ai l’impression que toutes ces mesures soulèvent de dégoût même les plus réactionnaires. Peut-être y aura-t-il quelque chose à faire un jour contre tout cela. Quand même. Vivre pour cela. Et c’est tout.
Édith Thomas (1909-1970) fut un des acteurs déterminants de la résistance intellectuelle durant l’Occupation. Cheville ouvrière des Lettres françaises, elle publie ses Contes d’Auxois aux Éditions de Minuit clandestines et trois de ses poèmes paraissent sous le nom d’Anne dans l’anthologie L’Honneur des Poètes. Sa rigueur, sa lucidité prémonitoire, sa formation d’historienne (issue de l’École des Chartes, elle fut conservateur aux Archives nationales jusqu’à la fin de sa vie), font de son Journal et du Journal intime de Monsieur Célestin Costedet – régal de méchanceté vengeresse qu’elle tint d’octobre 1940 à mai 1941 et que nous publions en seconde partie de cet ouvrage –, des témoignages de tout premier ordre. Les deux, écrits au jour le jour, dépendent des mêmes contingences temporelles et leur lecture simultanée se révèle passionnante et riche d’enseignements.